Introduction

L’ambition terrible revendiqué par cet effort créatif est la suivante : de soigner le monde en se soignant soi-même. Il arrive quelquefois dans une vie humaine que les astres s’alignent de telle sorte que ce que nous sommes se superpose alors, brièvement, avec ce qui suppose « le cœur du monde » ; laissant derrière elles, la silhouette d’un phénix et des cendres de rubis pour nous continuer par l’irrégularité du cosmos ivre et mal défini. Dans cette entente permise par une force du destin, aucune contrariété ne saurait, le temps d’une goutte et d’un rêve, malencontreusement s’immiscer entre le monde et ce que nous sommes. De telle sorte, que tout ce que je vise à appliquer au travers de moi se suit d’une répercussion favorable ou défavorable sur le monde, et vice-versa. La façon dont on peut agir, durablement et profondément, sur le monde se fait au travers de soi ; il n’existe aucune autre solution, car nous sommes le monde, et en refusant d’agir au travers de soi, nous refusons, aussi et à notre insu, d’agir sur le monde : bien que le vernis tiède de nos « intentions » les meilleures chercheraient à nous convaincre du contraire. Par extension logique, cette série d’ouvrages est, aussi, le guide de comment œuvrer au travers de soi - mais ce, malheureusement, sous une forme limitée - car au moyen d’une médiation poétique et intuitive qui sera, nécessairement, amenée par la voie transitoire de flammes et d’ombres. Cette série d’ouvrages ne saura vous dire comment agir, explicitement, au travers de soi, mais saura vous le témoigner, vous offrir des dimensions et des barrières de couleurs pour vous aider à situer le cadre de ce que signifierait une vie intérieure bien et mal vécue. Toutes les vies intérieures se vivent différemment, et celle-ci, n’en est qu’une par milliers, une par milliers qui partagent la sensibilité universelle pour la plainte du monde… !

Le psychologue a pour légitimité de son exercice, ses patients, tandis que le poète, ses poèmes. Les poèmes sont les fleurs de l’arbre : et sans fleurs, l’arbre n’est rien. De fait, toute la structure et l’œuvre de ma vie - semblable à celle d’un arbre qui déploie, gracieusement, ses branches - repose, intégralement, sur cet axiome principal : qui est d’écrire et de continuer à écrire ; ergo, de fleurir et de continuer à fleurir. C’est pourquoi cette œuvre est l’expression symbolique de l’œuvre de ma vie, et représente une tâche et une chaîne qui devra durer le temps de ma vie totale. Le sens de cette oeuvre, pris dans son ensemble encore inachevé, est celui de témoigner, d’expirer de cette vérité qui permet la continuation folle et improbable de l’écriture. Le lecteur trouvera, aussi, dedans le récit d’une évolution progressive de ma personnalité au travers des différentes années et saisons de ma vie, sous la forme éditoriale de plusieurs nouveaux volumes. En ce sens, cette œuvre peut être disposée, également, comme un matériel scientifique et empirique d’investigation de la substance psychique ; elle fournie de la matière ! Ainsi, dès lors que je m’écarte de cet exercice d’écrire mes « Essais », je m’écarte, également, de ma légitimité d’exister en tant qu’être humain. Cette œuvre est une cellule de prison paradoxale : qui s’enchaine au centre de ma personnalité comme nucléus cellulaire mais libère, aussi, par exhortation, la multiplicité de mes cellules sanguines ; faisant battre mon soleil au coeur, et rugir mon sang de barbare ! 

J’ai commencé, naïvement, à écrire ces poèmes-fleurs parce que j’avais été pris d’assaut, à un jeune âge, par des images intérieures aux formes obscures et menaçantes. C’est dans une visée thérapeutique initiale que j’ai voulu mettre ses images sur le papier pour pouvoir mieux m’en séparer, ensuite. Je me rappelle nettement du fait perçant qui faisait que, si pour quelque raison que ce soit, je ne parvenais pas à mettre ces images par écrit, j’avais l’impression désagréable et maladive de porter de la boue dans mon cerveau ; comme si j’étais subitement alourdi par le poids d’une vie secrète qui n’aurait pas su trouver son issue véritable. C’est en quelque sorte un travail d’allégement et de différenciation que pouvoir mettre le mot sur l’image ; le réduire à la taille d’un texte, et ainsi, l’objectiver pour finalement pouvoir s’en détacher, comme d’un objet que l’on déplacerait avec sensibilité du tiroir de l’âme au tiroir du bureau. Je découvrais, par la suite, que le coeur du travail psychique était, précisément, celui-ci, l’inconscient repose sur l’idée qu’il doit être confronté par la conscience (l’égo) ; et que dans cette rencontre entre la lumière artificielle de la conscience et la boue naturelle de l’inconscient émerge, en conséquence, la possibilité d’un éclairage solaire médian. L’inconscient comme prima materia (matière primaire) est une matière épaisse qui pèse dans l’âme humaine et doit être dirigée, par des mains travailleuses, vers et pour la vie pour mieux pouvoir s’en séparer ensuite ; ou en d’autres termes plus simples et efficaces : le transformer. L’accès à l’inconscient représente l’opportunité de bénéficier de l’appui d’un vecteur de transformation et il en revient, seul, à l’être humain d’avoir le courage d’y établir un premier contact et un lien durable, avec. Cette transformation implique la guérison, la croissance, le devenir, la réalisation, l’accomplissement et est, donc, une aide thérapeutique inespérée et d’une valeur inestimable. Comprendre comment se situer par rapport à l’inconscient est presque une question de vie ou de mort, si l’inconscient n’était, lui même pas, l’expression de la vie et de la mort ! 

Il serait désolant de penser que l’ordre du monde pourrait être expliqué dans une rigidité qui rappelle l’armoire aux squelettes dorés les plus répugnants. La vérité du monde est une vie vécue dans le chaos puissant, dans le souffle irraisonné, de se perdre souvent et se rattraper de justesse : ce qui nous rattrape de justesse est semblable au Dieu-Escargot qui sort de sa coquille et oeuvre, par la plus lente des rédemptions, dans une vitesse quasi-invisible ! Ici, je n’assure aucune promesse quant à une formulation finale sur la question humaine - ce ne sont, au fond, que des mots ! - mais je m’autorise à l’illustration d’une vie intérieure qui s’essaie à ses couleurs comme un spectacle s’essaierait, tout aussi bien, à ses jeux de lumières. Étudier les impressions que les mots, les couleurs, les images et les idées seraient susceptibles de provoquer en nous : cela est le vrai exercice de lecture de cet ouvrage. Je vous prie, ne vous accrochez pas à la parole « sainte et malsaine » de l’auteur. C’est votre vie intérieure qui doit primer - jamais les idées toutes faites et toutes mortes - et j’espère bien que vous pourrez vous en rapprocher alors que vous vous rapprocherez de la mienne !


Louan Baker.