La Lettre P
L’écriture est un travail manuel. Le travail manuel le plus léger du monde, sûrement ; mais, aussi, celui qui pèse le plus sur un cœur humain. L’écriture ne doit pas être bannie au royaume des occasions intellectuelles exceptionnelles, l’écriture est un travail de tous les jours si seulement nous manifestons du courage d’aller puiser quotidiennement dans l’encre du soleil. Je ne trouve de meilleure qualité à la discipline de l’écriture et à l’écriture, elle-même, que la constance et la régularité de l’écrivain, mais, aussi et peut-être, surtout celle de son âme. C’est-à-dire que cette écriture soit une expression de son âme et de sa vie qu’il essaie d’organiser sous la forme d’une étoile. Il n’existe de meilleure preuve contre la fanfaronnade intellectuelle que l’exécution et l’incarnation. L’argument qui se veut être contre la débauche intellectuelle est une débauche intellectuelle ! C’est ludiquement tautologique.
Ici : vous ne trouverez que le fruit violent et adouci d’un travail terrestre ayant doublement mûri. Je travaille la terre avec mes doigts, qui sont des racines pour tenir ce stylo autrement inscrit dans la métamorphose dynamique d’une brindille, d’une branche, et d’un tronc ; et ce, pour se rapporter à l’invocation spécifique et visiblement multiforme de l’appel du cœur. Ceci est l’affaire de la transcendance des bois élémentaires et d’un château dans la forêt. Vivre ou fleurir : cela est pareil, cela participe à l’œuvre de la nature, et il faut, à chacun, trouver la façon dont il peut participer, au travers le défi original de son destin individuel, à l’éclosion de la “vénérable nature”. Car dans ce trajet énigmatique de la vie et de la mort, sur la carrosserie blanche et noire de notre véhicule solitaire, nous avançons vers la mort avec l’instinct irrationnel de préserver, toujours, la graine immortelle de la vie ; cette immortalité doit fleurir - nous sommes cette immortalité - et la vie semble être notre chance unique pour lui permettre.
Effectivement, nous faisons collectivement l’erreur de penser que l’expérience de la vie serait strictement réduite à celle de la vivre, dans un positivisme aussi stérile qu’unilatéral : mais, en réalité, elle est, aussi, l’expérience de mourir, de perdre, de s’égarer, de renaître, aussi ; ce qui, dans une contre-indication spontanée soulignerait la trace d’un optimisme d’un autre trait - en apparence obscur car insoupçonné - que l’expérience de la mort symbolique, pourrait, aussi, se rapporter, comme double sceptique, à celle de vivre ! Heureux d’imaginer la porte de la mort noire avec une poignée dorée et une serrure d’étoile ! Cette conscience des faits dépendrait, donc, en grande partie de l’engagement moral que nous avons décidé d’entreprendre dans et pour notre existence ; sommes-nous prêts à vivre ce que le cœur et la nature souhaite pour nous de vivre ? De renoncer et de souffrir, long et fort, au nom des tempêtes de couleurs ? Ici : être un arbre ou le Christ est la même chose, c’est respecter la vie, et la vie telle qu’elle s’exprime, étrange, drôle, et trop souvent paradoxale, en nous-mêmes. J’admets que la psyché n’est pas le phénomène du vivant le plus simple à éclairer, mais signifie une tentative honnête et chaotique de la nature de se livrer d’une intimité à une autre.
La nature semble s’exprimer directement à l’homme au moyen d’images primordiales, et c’est le travail du poète de pouvoir aller puiser ces images en lui-même et celui du psychologue de pouvoir les éclaircir et les comprendre, pour finalement, permettre leur assimilation au bloc constant et intégral de sa personnalité. Ce travail d’assimilation du psychologue est semblable à celui de l’archéologue qui opère un travail de fouille, et après avoir découvert un joyau rare dans les ruines de son temple égyptien, la dépoussière avec un pinceau et l’organise, ensuite, dans un premier casier administratif qui regroupe l’ensemble des découvertes réalisées le temps de l’expédition. Mais c’est dans un second sanctuaire scientifique - qui réunit l’intégralité du savoir de l’humanité (et limité) - que cet élément objectif doit être placé ; et pour le ranger adéquatement dans cette administration universelle, il doit être accepté par tous les autres éléments objectifs qui se rapportent à lui de près ou de loin (de façon permanente et constante). Une cohérence intellectuelle doit, ensuite, être fournie pour permettre une greffe positive du corps étranger dans l’ensemble dysmorphique, car en constante ébullition, du corps scientifique.
Le lecteur en déduira que le sens de mon travail est double : de découvrir cette image irrationnelle et la rapporter ensuite à la position d’une conscience abstraite et rationnelle, travail que je simplifie sous le nom artificiel et duel de poésie et de psychologie. Une fusion plus divertissante de ces deux pseudonymes, souvent rivaux, se trouverait dans la formule unificatrice de : la lettre P.